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Sauf exception, il méprisait profondément l’art contemporain pour sa vénalité. Son obsession de la nouveauté découlait selon lui, non d’une exigence esthétique intrinsèque, mais des nécessités de son mercantilisme inavoué. Sortir du nouveau, de l’inédit, pour prendre sa place de consommable dans la série de production.
La transgression constituait un des moyens les plus vulgaires (au sens « commun » du terme) que les artistes actuels utilisaient pour produire du nouveau, souvent à grand renfort de finances. Une nouveauté qui se répétait jusqu’à la nausée, comme une interminable course de haies dont les barrières deviendraient de plus en plus indistinctes.
Quoi qu’il en soit, cela continuait d’émoustiller le bourgeois, qui pouvait s’offrir à bon compte une âme d’esthète à grand angle, comme on se paie pour pas cher une pauvre fille pas trop propre en se gargarisant bien couvert du courage de sa prise de risques vénériens. Comme on s’offre un bouquet de folie, un rictus d’étranger à la boutonnière, c’est joli ça dans les salons, ça vient de sortir, et qu’importe qu’il saigne à la commissure et que ça ne sente pas la violette.
Qu’ils ne comptent pas sur lui pour faire le fou du bourgeois. C’était lui le roi, incorruptible et cohérent dans son art jusqu’à l’obscénité la plus extrême, et sans tous leurs moyens, tout seul comme un dieu dans son coin, bricolant avec la seule nécessité de ses besoins sur le dos d’êtres humains. De quelle empathie avaient-ils donc fait preuve, eux qui ne s’étaient pas une fois demandé comment il pouvait encore tenir debout ?
Ah ils aimaient les performances transgressives, il en avait à montrer, entrez sous mon chapiteau Messieurs Dames, la galerie du monstre, ça vaut bien le toc d'un Paul Mac Carthy. Mais quelle tête feraient-ils, hein, devant l'authentique ? Auraient-ils l’estomac assez solide pour rester propres sur eux ?
En tout cas l’enfant cage en lui n’avait pas cet estomac, ses sales performances l’effrayaient, il se donnait le vertige et mal au cœur. Mais ils étaient inséparables, et c’était un besoin. Sans le grand autre il n’était rien, qu’un rat apeuré, un porc roulé dans la boue, un chien plein de merde. Les crachats de toute une foule n’auraient pu égaler le mépris qu’il éprouvait pour lui-même. Mais avec lui, il était un tigre féroce, un grand chef d’orchestre, un démiurge génial, un metteur en scène mortel.
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