Conte de l'enfant - cage / 6

6.

Dans la mer intérieure de plomb où son ego avait coulé, il oscillait sans arrêt entre l’abîme de sa répugnante bassesse et les crêtes de sa magnitude unique. Petit ou grand, c’était la question. Comment être sans pouvoir y répondre ? Seul le néant n'a pas de dimensions.

Mania grandiosa : ce qu’il lui fallait pour se sentir grand, remonter respirer à la surface, c’était exercer du pouvoir, un très grand pouvoir à la hauteur de sa folie des grandeurs. Créer autour de lui un désordre majuscule en jouant d’ordres minuscules, énoncés de façon à la fois suggestive et suffisamment ambiguë pour n’être pas mis en danger d’être accusé au grand air des conséquences. Jouer d’inépuisables variations sur un thème inlassablement répété, pour subvenir à ses propres besoins par les actes des autres. Cueillir l’autre à portée, déranger l’ordonnancement de sa raison et de ses sentiments pour pouvoir en user à ses propres fins. Déménager l’objet dans sa brasserie pas normale, le cuisiner en interne pour pouvoir le contrôler.

Ainsi était-il roi, d’un royaume minuscule bien sûr puisque sa portée n’avait un rayon d’action véritablement efficace à long terme que limité à un cercle proche et affaibli. Mais roi quand même, seul maître à bord, sans ministres ni conseillers, qui aurait pu le percer ?

Dans sa recette de cuisine interne, l’ingrédient de départ était la compassion, il savait en user comme d’un fond qu’il tissait de semi-vérités et de confidences mensongères. Il savait exhiber avec une fausse pudeur les cicatrices vraies et fausses de sa vie pour agrémenter la séduction et attraper solidement la main qui aurait la faiblesse de se tendre. Plus avant dans la confection des saveurs, quand ses sujets-objets mijotaient doucement en son royaume, il faisait entrer la honte, pour les isoler et les faire taire, les garder bien en main.

 Bien que son hyper-sexualité mentale mais physiquement déficiente le portât autant vers la beauté masculine que féminine, et que les hommes offrissent un plaisir physique plus grand, les femmes l’attiraient davantage car elles étaient plus sensibles et plus faibles. Pour lui le désir d’un homme, tout d’extériorité, n’avait rien à voir avec l’amour, tandis qu’éveiller le désir des femmes signifiait éveiller leur amour. Les manipuler devenait alors extrêmement gratifiant et aisé. Il rêvait d’avoir des mains suffisamment grandes pour pouvoir les contrôler tout entières, intérieur et extérieur. Mais il savait par expérience que ses mains ne l'étaient jamais assez à son goût dans les relations affectives.

C’est là que le flash Henry Moore s’allumait, lui qui avait joué de façon si récurrente à percer ses statues pour explorer la forme intérieure. La différence entre les statues de Moore et les vraies femmes, l’avantage, c’était l’humidité. En fait il les aimait et les détestait, c’était tellement plus simple pour elles, il leur suffisait de mouiller, ce n'était pas juste. Il ne s’avoua sans doute jamais que ce qu’il détestait en elles, c’était la femme en lui dont on avait abusé.

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