Conte de l'enfant - cage / 7


7.

Il chérissait le paradoxe comme un escargot chérit l’intérieur de sa coquille, comme il carapace de minéral la faiblesse de sa chair. Il inversait la douleur en jouissance, l’hypersensibilité en armure rance verrouillée sur le vide. La perfection paradoxale du Chevalier Inexistant. Et s’il s’était trouvé un seul œil, une seule oreille attentive, on l’aurait vu en effet se recroqueviller sur lui-même en évoquant les malheurs arrivés à ses proches, ses supposés amis ou aimés, avec un étrange accent de jubilation dans la voix, une intonation dans l’arrière-gorge qui semblait s’y frotter les mains sous la voussure soudaine d’un nain malfaisant.

Mais les plus observatrices des « grandes personnes » n’éprouvaient au pire à ce spectacle toujours bref qu’un fugace sentiment de malaise aussitôt écarté par la continuité du raisonnable.

Le raisonnable ! il en riait bien, lui, bien fort en son for intérieur. Plus fort ! C’était sa raison d’être à lui le faible, la raison du plus fou dans son implacable cohérence, c’était lui le déménageur, le fou du logis, celui qui fait le ménage autour de lui. Il en était même venu à caresser l’idée, délectable quoiqu’un peu ridicule, de se croire responsable des infortunes fortuites qui tombaient sur les uns ou les autres à sa périphérie. C’était une croyance, il le savait, mais une des seules qui lui restaient, la foi en une sorte de pensée magique qui n’avait d’autre rayon d’action que d’ombrage et de désordre, voire de destruction et de mort. Une aura de puissance.

Il rêvait beaucoup, c’était un grand rêveur, il rêvait des fantasmes fous, il rêvait d’apothéoses. C’était un mot qui l’enchantait par son paradoxe, un mot comme taillé pour lui sur mesures dans le grec. Car ce que les gens regardaient comme un point culminant, l’apogée de la gloire dans l’approximation de leur vocabulaire hâtif, n’était-ce pas en fait une cérémonie funèbre ? Il avait trouvé un texte d’Hérodien qui décrivait précisément le protocole de déification des empereurs romains : on plaçait sur un grand lit un personnage de cire, très pâle et tout à fait ressemblant au mort encore frais, on l’y gardait sept jours durant pendant lesquels les médecins venaient quotidiennement s’assurer de son déclin avant de le déclarer officiellement mort, puis on brûlait l’effigie en grandes pompes et un aigle s’élevait du bûcher pour emporter au ciel l’âme de l’empereur.

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