Conte de l'enfant - cage / 8

8.

Outre l’absolue solitude où son type d’expression l’enfermait, un autre problème cependant subsistait, celui de la continuité de vivre. Survivre n’était possible que par brefs instants, au prix de risques élevés qu’il appréciait à leur juste valeur. Mais dès qu’il redescendait de son escabeau de survie, il retombait dans la grisaille du plat pays de son inexistence, de son vide intérieur. Morne et insupportable ennui de la plaine.

Pour y remédier tant bien que mal, il le peuplait de théories très personnelles mais à visées universelles. Il se rêvait grand philosophe, sans ménager pourtant son ironie cynique à l’égard de ce rêve sans espoir de débouchés, la pensée close d’un Narcisse mal éclos, étanche au monde extérieur mais d’une lucidité sans faille. Une intense lumière sans rayonnement, tout entière absorbée par son noir absolu, un regard retourné sur lui-même comme l’œil de l’escargot en est capable au bout de son antenne.

Pour qui se prend pour la mort, la vie par son exubérance, son foisonnement, sa profusion de sens et de couleurs, représente un monde inconnu fascinant, une autre galaxie. Il s’y perdait souvent en pensée, enfermé minotaure, il y perdait le fil dans le dédale noir et blanc de ses idées chaotiques.

Que ce fût par souci de clarification, par projection de son propre néant ou pour tenter sans illusion de justifier ses actes, il décida de scinder ce phénomène étranger en deux : d’un côté la Vie avec un grand V, de l’autre les petites vies par lesquelles la grande Vie unique ne faisait que passer.

Qu’il s’agisse d’organismes aussi primitifs que des amibes qui se coupaient en deux pour prospérer, d’holothuries ou d’êtres humains, la différence était minime : finalement, les gens n’étaient rien que des emballages, des tuyaux aussi vides que lui l’était, qu’on pouvait sans scrupule séduire, emballer pour les emprunter avant d’abandonner leur dépouille morte , puisque la Vie immortelle le faisait sans en être affectée. Peut-être même que cela le rendrait immortel, lui qui avait une peur si effroyable de sa propre mort.

Il fallait n’avoir peur de rien, jouer comme un dieu avec les anges vides et leurs trompettes, s’ériger à n’en plus finir une cathédrale impitoyable où faire sonner ses grandes orgues féroces et sépulcrales, une cathédrale aux vitraux de verre blanc, sans images colorées susceptibles d’être lues. L’érection n’était-il pas un problème d’architecture ? Il avait écrit tout un livre là-dessus, dont la structure éminemment baroque disparaissait sous la couverture d’un décor extérieur néo-classique sans le moindre intérêt. Toute une ville même, ça faisait une somme, en somme une ville affreuse, mais c'était la sienne.

2 commentaires:

  1. bonjour je tombe sur ce blog que je ne connais pas!! parfaite solitude avec une rage de rester toujours et encore vivante...j'aime l'écriture de cette page ..j'apprécie...excusez moi d'être là..en intruse?

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  2. Non, non. Au contraire, merci de votre passage et de votre lecture, c'est fait pour être lu

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